Festival des féminismes au Valgoude

Journal de bord de mon projet documentaire sur la transmission des luttes féministes et lesbiennes en Normandie. Épisode 2.

J’ai rencontré le collectif SafeTeam Paillettes Partout le 8 mars à Caen. Il s’agit d’une association de sensibilisation et de lutte contre les oppressions et violences en milieu festif. J’ai été invitée à participer à leur premier festival le 1er juillet. Voici le récit de ce festival.

30 juin 2023

J’arrive à Caen sous une pluie intermittente. Je dois me rendre au Valgoude pour le premier festival des féminismes organisé par le collectif SafeTeam Paillettes Partout qui se tient le 1er juillet. Le Valgoude est à 23 kilomètres au sud de Caen. Une partie des membres du collectif y vit en colocation dans une immense maison. Plusieurs hectares environnants permettent d’y accueillir le festival. Il n’y a ni bus, ni train pour y aller. C’est un hameau avec trois grandes bâtisses, dont une ferme. Et des champs. Gauthier, du collectif, m’appelle pour me dire qu’il a perdu ses clés de voiture. C’est lui qui est censé me récupérer à la gare et m’emmener au Valgoude. Nouveau plan, je partirai avec d’autres membres du collectif après leur participation à la manifestation organisée pour Nahel (l’adolescent tué par un policier en juin) à 20h en centre-ville. J’ai plusieurs heures à attendre avec mon lourd paquetage de réalisatrice. Il est composé principalement d’un micro-canon, 2 micros-cravates, une caméra, un trépied, un ordinateur portable, un disque-dur externe, des batteries et câbles en tout genre. Je porte tout mon matériel dans un sac-à-dos acheté spécialement pour ses rangements.

Je sors de la gare. J’hésite à utiliser mon appareil photo. La ville est si triste. Même la statue dorée de Jeanne d’Arc semble d’un coup bien pâle et terne. Je me réfugie dans un bar que l’on m’a conseillé. Il est décoré dans le thème de la sorcellerie, j’adore. Un peu désemparée par le temps menaçant et par le changement de plan, je commande, par erreur, une potion magique à base de gingembre. J’y suis allergique. Je me rends compte de la présence de gingembre sitôt mes lèvres trempées dans la potion. Je repose le verre. Recroquevillée dans un coin, seule, je regarde les quelques livres pour enfants mis à disposition près des toilettes. Je me sens un peu mal. Ne rien connaître du lieu où l’on va et des personnes que l’on va rencontrer provoque chez moi l’émergence d’émotions contradictoires. À cela s’ajoute une météo qui s’annonce peu propice pour tourner des rushs et une communication un peu rapide avec le groupe en amont de ma venue. Je ressens de la joie et de l’excitation bien sûr, mais aussi de l’appréhension et même une envie de rentrer chez moi. Sortir de sa zone de confort, il me semble bien comprendre ce que cela veut dire.

Je demande l’addition au comptoir. “Vous avais aimé?”. Je me sens désolée de lui répondre : “Je suis allergique au gingembre, j’ai mal regardé la carte. Je n’ai pas pu le consommer. Suis un peu perturbée…”. Le barman refuse de me faire payer. Je suis très touchée par sa générosité. ça me ragaillardit un peu. Je déambule dans la ville puis je rejoins le départ de la manifestation pour faire connaissance avec les personnes qui vont me conduire ensuite. Je m’éloigne du cortège pour ne pas endommager mon matériel au cas où les événements prendraient une mauvaise tournure avec la police. L’ambiance est très étonnante, ubuesque même. Le cortège de la manifestation croise régulièrement la Foulée des Bistrots, course déguisée de 7 km avec ravitaillement dans des bars très animés. Aux vêtements sombres des manifestant·es se mêlent de temps à autres des personnes-fleurs, poneys, schtrompfs, train, nageurs, drakkar… Nous partons très tard, à cinq, dans une petite voiture. Je suis accueillie au Valgoude par l’équipe du festival en pleine discussion sur les derniers préparatifs de le fête. Je pars rapidement me coucher car je sais que la journée du lendemain va être très dense.

1er juillet

Composition graphique inspirée du festival

Je fais le tour du propriétaire, un peu apeurée de croiser un des chiens de la maison qui m’a attrapé la cuisse à mon arrivée. Tout le collectif s’attelle à installer les décors, la scène, le bar et à préparer des kits de prévention contre le harcèlement en milieu festif pour les distribuer au public. Je propose mon aide et prépare à mon tour quelques kits. Dans la salle à manger et la cuisine, des caisses de nourriture sont disposées un peu partout. Une cantine est prévue pour tout le monde le soir. Il y a des légumes en quantité ! Je tourne quelques rushs.

Des associations (Planning familial, Centre LGBT, collectif Main Violette…), des artistes et des artisan·nes arrivent progressivement pour installer leur stand. Je passe la journée à me présenter en tant que réalisatrice à tout le monde, expliquer ma démarche et faire des portraits photographiques des personnes qui le souhaitent. Je propose à la SafeTeam de leur partager toutes mes photos afin que les personnes prises puissent récupérer auprès-d ‘elle leur portrait. Je n’envoie plus moi-même les portraits. Je l’ai fait une fois dans le cadre du forum “Rouen ville féministe” en avril. J’ai envoyé des photos dans des mails individuels à plusieurs dizaines d’associations et de personnes. Deux remerciements reçus…

Les stands sont très divers. Je retrouve des militantes rencontrées le 8 mars à Caen. Une bibliothèque féministe est installée ainsi qu’un atelier de maquillage. Je discute avec des graphistes, une tatoueuse, des couturières, fabricantes d’objets personnalisables. La conférence gesticulée “Faire taire le silence” de Leïla Fréger Kneppert se tient derrière le groupe d’arbres à droite. Un atelier réservé aux hommes, leur permettant de discuter sur l’impact de la masculinité et du patriarcat sur leur vie et la société, s’organise près d’une caravane au fond à gauche.

En fin d’après-midi, je me réfugie dans ma chambre pour récupérer en énergie et enregistrer sur mon disque dur externe les centaines de photos prises. Une demi-heure plus tard, je redescends pour manger. Les tickets d’entrée donnent droit à un repas. L’organisation est parfaitement pensée. Le principe : composer une salade comme dans les restaurants de poke bowls. Il y a des éléments de base puis des ingrédients au choix. Un·e bénévole est désigné·e par type d’aliment. La cadence est soutenue, la file avance vite. L’organisation de la vaisselle est encore plus ingénieuse. Chacun·e doit laver son verre, ses couverts et son assiette dans d’immenses bassines dédiées par type de vaisselle. Une table permet le séchage et la réutilisation de la vaisselle ainsi lavée.

Une scène ouverte est proposée. Des personnes du public trouvent le courage de chanter ou de lire un texte personnel ou emprunté. La deuxième partie de la soirée est occupée par un drag show des membres du collectif The French Caen Caen. C’est le premier auquel j’assiste. Avec leur autorisation, je les mitraille avec mon appareil photo. Pas de film permis en revanche. Je n’ai d’ailleurs pas filmé l’après-midi pour éviter d’avoir à l’image les enfants présents et les personnes qui n’auraient pas souhaité apparaître involontairement dans un documentaire. Je porte toute la journée un gilet jaune sur lequel est inscrit “cinéma” pour me signaler et me rendre bien visible de tous·tes. La vue de mon matériel pourrait mettre mal à l’aise. J’ai trouvé cette astuce après mon premier séjour à Caen pour couvrir la manifestation du 8 mars. En effet, des personnes s’étaient méfiées de moi car elles me percevaient comme une journaliste (non alliée?) venue couvrir l’événement tandis que d’autres m’avaient abordée dans l’espoir d’obtenir 3 secondes de popularité à la télévision (j’ai horreur de ce comportement). Le drag show se déroule en même temps que le soleil se couche. Je photographie jusqu’au bout. La soirée continue avec une DJette et, pour moi, avec un premier tri des 800 photos prises dans la journée. Je m’endors, exténuée, à 2h du matin.

The French Caen Caen

2 juillet

J’ai été réveillée dans la nuit à 6h par une personne venue dormir dans le lit à côté du mien. Je me lève un peu difficilement, vers 10h. Je copie toutes mes photos sur une clé du collectif SafeTeam. Leur envoyer plus tard est plus compliqué. Je préfère faire le maximum sur place. Nostalgie de lendemain de fête, quand le décor doit être enlevé et que le terrain est déserté. Je repars chez moi en covoiturage. Je sais que 2 jours de décompression et de repos m’attendent. On vit tellement plus quand on fait des repérages dans ces conditions! Oui, je me sens vraiment vivante après tout ça.