Ladyfest à Alençon – dessin, photo, détente

Journal de bord de mon projet documentaire sur la transmission des luttes féministes et lesbiennes en Normandie. Épisode 4.

Début octobre, je me suis rendue au Ladyfest à Alençon organisé par la compagnie de spectacles féministe intersectionnelle Transtopie (Alençon) et le collectif GanG ReineS (Le Mans). Ce festival, qui mêle musique, spectacles, expositions et ateliers, se veut : « un espace d’échange et de partage, autour des thèmes tels que la créativité, la diversité, et la promotion de l’égalité entre les genres ». Le festival s’est tenu le 6 octobre à Caen puis le 7 et 8 à Alençon.

Vendredi 6 octobre – Caen, Musée des Beaux-Arts

L’ouverture du Ladyfest se déroule en fin de journée à Caen. J’arrive dès le début d’après-midi. Dans la perspective de rentabiliser mon temps de présence et le déplacement, compte tenu de moyens financiers restreints pour les repérages du film, je m’organise, en effet, pour rencontrer ce jour-là une militante de l’association LGBT Les Enfants Terribles de Caen avec qui j’étais en contact depuis quelques semaines. La rencontre est fructueuse, elle accepte d’apporter son témoignage à mon documentaire. La météo est favorable à une déambulation dans la ville. Je me rends ensuite dans le parc de l’Abbaye aux Dames et je gravis la colline au grand cèdre. Je pensais y trouver un point de vue intéressant mais la position du soleil ne me permet pas de faire des prises de vue correctes. Pas même un oiseau ou un écureuil à filmer sur le cèdre, dommage. J’arrive juste à temps au musée des Beaux-Arts pour me présenter à une partie de l’équipe du festival et me positionner dans la salle afin de photographier le spectacle “DeveNues” donné par la compagnie Orka. Tout le monde s’active au musée, le spectacle va commencer. La salle est préparée pendant que le public arrive. Le spectacle terminé, je filme et photographie le cocktail et les stands tenus par les associations caennaises, tout en m’accordant un verre de cidre qui finit par m’achever. La fermeture est annoncée. Je reste avec les bénévoles d’Alençon qui m’embarquent dans une camionnette entre boîtes, outils, œuvres artistiques et objets divers qui seront utiles au reste du festival. Après 1h de trajet, je découvre l’appartement dans lequel je vais passer mes prochaines nuits. Je me glisse dans un petit lit en évitant de marcher sur les jouets qui jonchent le sol de la chambre d’enfants qui m’accueille.

Samedi 7 – Alençon, Chapêlmêle

Le festival se tient à Chapêlmêle, un tiers-lieu dit des Petits-Châtelets installé dans une ancienne congrégation religieuse de plus de 2000 m2. Les tiers-lieux sont une mutualisation d’espaces pour des projets culturels, artistiques et des rencontre engagées. Ils favorisent l’expérimentation, la convivialité et la création. À Chapêlmêle, je ressens une énergie collective, un respect des lieux et une ouverture à toutes formes de personnalités qui me donne l’impression d’être chez moi et à ma place. J’apprivoise rapidement mon environnement et y circule librement.

En parallèle de la réalisation documentaire, je pratique le dessin. Depuis quelques mois, j’ai un projet de création sur le thème des représentations féminines au Paléolithique supérieur (de -40 000 à environ -9 500 BP). J’ai lu des ouvrages de spécialistes de la Préhistoire, je me suis constitué un répertoire d’images des représentations de femmes (dites « venus) et j’ai commencé, en août, un journal de bord de création. Ce journal de bord est une pratique quotidienne de dessin contraint : 30 minutes chaque jour pour représenter une idée. Cela m’a permis d’essayer différentes techniques sans pression, sans crainte de l’échec et donc sans déception. De nouvelles idées de composition et de couleur me viennent chaque jour. Cela stimule beaucoup ma créativité. C’est une partie de ce journal que je suis invitée à exposer à Chapêlmêle. Pour la première fois depuis la fin de ma thèse, je donne à voir mon travail, un travail nouveau. J’ai déjà participé à des expositions, dans des salons de peinture pendant une partie de mon adolescence et à l’université sur le sujet de ma thèse. Ce projet marque un nouveau départ et une ouverture vers une pratique artistique que je trouve complémentaire de la réalisation de films. Mon expérience passée a contribué à me faire sentir légitime à exposer. Pourquoi se limiter à une identité ? Je filme et je dessine. Et cela plaît ! J’ai de bons retours. Comme les autres artistes, j’ai un temps pour présenter mes œuvres au public. Cependant, je ne suis pas du tout présente en dehors de ce temps-là pour répondre à d’éventuelles questions et échanger sur mes dessins. Je suis avant tout ici pour photographier et filmer le festival. De toute façon, je n’aime pas rester assise devant mes œuvres en attendant que des personnes viennent me parler. Le public ose rarement aborder les artistes. Peut-être en partie pour la même raison qui fait que je n’entre que rarement dans une galerie. Je me sens désolée de ne pas acheter une œuvre à l’artiste.

Dimanche 8 – Alençon, Chapêlmêle

Plusieurs ateliers se déroulent simultanément le samedi comme le dimanche. Je cours de l’un à l’autre pour pouvoir photographier l’ensemble des artistes et des bénévoles.  C’est une contribution que je propose afin de participer à la dynamique collective et rendre service quand il y a besoin de renfort pour la communication. Selon la lumière, le moment, l’expression, je choisis telle ou telle personne. Plus il y a de monde, moins j’ai de temps pour penser chaque sujet. Je fais des choix en permanence. Tout le monde n’aura pas son portrait-souvenir. Je trouvais cela décevant au début de mes repérages. Maintenant, j’assume de ne pas pouvoir être partout.

Je filme dès que je le peux, en évitant les visages des visiteuses et visiteurs qui n’ont rien demandé. Je teste les prises de vue imaginées les jours précédents. Certaines ne donnent rien. Je tente des prises spontanées qui fonctionnent. Je pense l’image et parfois elle se révèle toute seule. Aussi, avec l’accumulation de repérages, je n’ai plus peur de ne pas avoir assez de matière. Je m’amuse davantage. Je sais aussi que je peux recommencer ou que je trouverais un autre moment, ailleurs. Filmer sur le vif, c’est aussi et même surtout renoncer.

Tous les spectacles auxquels j’assiste me bouleversent, me font rire, me font sentir dans une parenthèse hors du temps. Je participe aussi à l’atelier fanzine. Je suis étonnée de la créativité et de l’inventivité possible à partir de découpages de revues et livres en tous genres.

Lundi 9 octobre – début d’automne

Chez Malou, je récupère bien de mes journées. J’en profite pour la remercier à nouveau ici de son accueil chaleureux. Je me lève satisfaite du travail effectué, heureuse des rencontres. J’ai du temps avant mon train de retour. Je suis restée une nuit de plus pour ne pas avoir à courir et rentrer très tard sur Angers et aussi pour pouvoir aider à ranger à Chapêlmêle. Le soleil m’invite à m’activer dans la préparation de mes affaires et à sortir découvrir la ville. Un château, un centre-ville petit et agréable, une bibliothèque originale et un beau musée de la dentelle. Je suis davantage inspirée par les arbres qui commencent à arborer leur robe d’automne. Je visite un parc et je fais quelques rushs de paysage. Je me sens très apaisée. Je retourne récupérer mes affaires chez Malou que j’ai plaisir à revoir avant mon départ. Le voyage par le train est l’occasion de découvrir le livre de poésie d’une artiste qui a exposé durant le Ladyfest.

Je n’ai jamais aussi bien vécu un tournage. Est-ce l’expérience qui fait cela? Une meilleure organisation? L’ambiance du festival et l’accueil chaleureux des militant·es? J’espère que mon prochain voyage sera aussi apaisant.